Discours d’Olivier Véran au Congrès de l’Encéphale 2022 - Palais des Congrès

19 janvier 2022

Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Président, cher Raphaël GAILLARD,
Monsieur le Délégué Ministériel, Cher Frank Bellivier,
Mesdames et Messieurs les professionnels de santé,
Mesdames et Messieurs,

C’est toujours un grand plaisir pour moi de m’exprimer devant la communauté des professionnels et des acteurs de la santé mentale et de la psychiatrie. Nous célébrons cette année les 20 ans de votre prestigieux congrès, dans une actualité particulièrement riche et après une année 2021 marquée par cet événement fort qu’auront été les Assises de la santé mentale de la psychiatrie, moment d’échanges et de partage mais aussi d’engagements sans précédent du Gouvernement, j’y reviendrai.

1. Cette année débute, comme la précédente, sous le signe de cette pandémie, qui réclame encore et toujours notre mobilisation et notre détermination.

Je veux saluer tous nos soignants - et en particulier ceux de la discipline psychiatrique ici représentée- je sais leurs conditions d’exercice, leur épuisement, mais aussi leur courage et la force de leur engagement. Je les en remercie.

Je veux saluer la formidable capacité de résilience de nos concitoyens dans cette épreuve. Je sais qu’on leur demande beaucoup d’efforts, au risque du découragement parfois. Mais je sais aussi qu’ils en comprennent tout le sens.

Expliquer ce que l’on fait, pourquoi on le fait, cela a été et reste la stratégie constante du Gouvernement. Cela participe pleinement de la nécessité de « maintenir le moral des Français ». La santé mentale de nos concitoyens est en effet un élément déterminant dans la gestion de cette crise, un élément qui guide toutes les décisions que nous sommes amenés à prendre.

C’est bien une des leçons de cette crise en effet, que d’avoir mis la santé mentale au premier plan de nos préoccupations collectives. Les derniers chiffres publiés par Santé publique France le rappellent encore : 68 % des Français déclarent des problèmes de sommeil ; 18 % montrent des signes d’un état dépressif et 23 % des signes d’un état anxieux.

Je constate que nous vivons aujourd’hui un moment que je qualifierais de paradoxal et d’exceptionnel pour la santé mentale et la psychiatrie en France :
 D’un côté, jamais la pression n’a été aussi forte, les difficultés aussi importantes, avec la démographie préoccupante et le déficit d’attractivité de la discipline, l’épuisement des équipes… ;
 D’un autre côté, nous n’avons jamais eu un tel engagement au plus haut niveau politique en faveur de la santé mentale et de la psychiatrie, avec la volonté affirmée d’en faire un vrai sujet sociétal, appuyé par la prise de conscience collective de leur importance respective.

À ce titre, les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie des 27 et 28 septembre derniers, clôturées par le président de la République, ont marqué un tournant majeur comme je le disais, avec au moins trois messages essentiels :
 La santé mentale, partie intégrante de notre santé, est un sujet qui nous concerne tous et qui doit être appréhendé comme tel ;
 Elle doit s’appréhender globalement dans ses différentes dimensions, de la prévention et du soin notamment ;
 Elle requiert une mobilisation collective qui doit perdurer au-delà de ce qui est né durant la crise.

Un cap est aujourd’hui fixé, avec des orientations fortes du gouvernement et des mesures concrètes.

La feuille de route santé mentale et psychiatrie, lancée il y a trois ans et demi par Agnès Buzyn et pilotée par le délégué ministériel Frank Bellivier s’est ainsi considérablement enrichie des mesures dédiées dans le Ségur de la santé et des 30 mesures des Assises. En bref, certaines mesures complètent et concrétisent des actions déjà inscrites, quand d’autres ouvrent de nouveaux champs d’action.

Au total, une cinquantaine d’actions-phares composent aujourd’hui notre feuille de route, déclinées autours de ses trois axes, dont je vais partager les principaux enjeux avec vous.

2. S’agissant du premier axe, des avancées majeures sont enregistrées pour promouvoir le bien-être mental, prévenir et repérer précocement la souffrance psychique et prévenir le suicide.

L’état de santé mentale de la population a été régulièrement suivi tout au long de la crise, grâce à la production par Santé publique France de tableaux de bord incluant des données sur les enfants et les jeunes, et des vagues mensuelles de l’enquête CoviPrev.

Une enquête pérenne sur la santé mentale des enfants de moins de 11 ans, pour lesquels nous ne disposions pas d’information globale jusqu’ici, est en cours de mise en oeuvre en milieu scolaire.

La lutte contre la stigmatisation des troubles psychiques, de leur représentation et des personnes qui en sont atteintes, a connu une impulsion décisive sous l’effet de la crise Covid.

Les campagnes de communication de Santé publique France ont fait sortir la santé mentale du silence et de la « clandestinité » qui l’entouraient. En 2021 des campagnes de communication à destination du grand public ont été lancées et nous poursuivrons cette communication, principalement à destination des jeunes.

S’agissant de la promotion du bien-être mental, le développement des compétences psycho sociales y participe pleinement. Elles peuvent être mises en place dans tous les milieux de vie, dès le plus jeune âge.

Comme annoncé aux Assises, nous présenterons sur ce premier trimestre avec l’Éducation nationale une stratégie multisectorielle, pour un cadre de référence partagé à leur déploiement vers les enfants et les jeunes.

La prévention de la souffrance psychique quant à elle, passe notamment par la solidarité. Le développement du programme des Premiers Secours en Santé Mentale y contribue et je tiens beaucoup au développement de ce dispositif qui a fait ses preuves à l’étranger et qui est également un très beau vecteur de sensibilisation.

Le déploiement de ce programme initié dans les universités se poursuit avec la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal et des modules de formation complémentaires sont en cours de déploiement pour les adolescents ou les personnes âgées.

Parallèlement, la diffusion de ce programme va se poursuivre auprès des agents des 3 fonctions publiques, via une circulaire interministérielle. Son extension vers d’autres secteurs est encouragée, par exemple dans le cadre du plan de prévention du mal-être des agriculteurs, que nous avons présenté le 24 novembre dernier avec Julien Denormandie et Laurent Pietraszewski.

Le dipositif VigilanS de prévention de la récidive suicidaire est, quant à lui, déployé dans 16 régions et 22 000 patients ont été inclus dans le dispositif en 2021. Cette année, au-delà de l’objectif régional, nous viserons une couverture plus large des départements.

Parallèlement, nous avons ouvert avec succès le 1er octobre dernier la ligne 3114 du numéro national d’appel de prévention du suicide. 11 centres répondants, dont 3 en « H 24 » assurent aujourd’hui la réponse pour l’ensemble du territoire national.

27 000 appels ont été reçus ; une part significative de ces appels (10 à 15%) concerne une crise suicidaire en cours et ont nécessité une intervention des secours : ceci tend à montrer l’utilité vitale du dispositif. En 2022, pour le renforcer, de nouveaux centres répondants seront ouverts ; des actions de communication ciblées seront également menées.

3. S’agissant du 2ème axe relatif au parcours de soins et à la mise à disposition d’une offre en psychiatrie accessible, diversifiée et de qualité, l’effort ne s’est pas relâché. Il s’est au contraire considérablement amplifié et accéléré.

Je commencerai par rassurer sur un sujet qui a suscité de fortes inquiétudes : l’isolement et de la contention en psychiatrie. La loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire adopté dimanche dernier a rétabli les dispositions que le Gouvernement avait prévues dans le PLFSS 2022 pour se conformer aux décisions du Conseil Constitutionnel sur leur contrôle judiciaire.

Les dispositions ont été élaborées après concertation avec les professionnels et usagers représentés dans le cadre la commission nationale de la psychiatrie. J’en remercie très sincèrement son président, le Pr. Michel Lejoyeux. Elles proposent un juste équilibre entre un meilleur contrôle de ces pratiques et la prise en compte de la réalité de situations cliniques difficiles que vous rencontrez.

À cette fin, des crédits pérennes supplémentaires à hauteur de 15 millions d’euros viendront abonder en 2022 le plan d’accompagnement, déjà prévu à hauteur de 15 M€ en 2021, pour permettre aux établissements de se réorganiser.

S’agissant plus globalement des moyens financiers consacrés à la psychiatrie, ils ont progressé sur 2021 de 2,4%. Par ailleurs, la dynamique de transformation de l’offre psychiatrique a continué d’être accompagnée financièrement, une enveloppe de 40 millions d’euros vient d’être déléguée :
 30 millions d’euros de crédits spécifiquement dédiés au renforcement de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et à la psychiatrie périnatale. Ils permettront de financer 87 projets pour soutenir l’offre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ainsi que l’offre de psychiatrie périnatale ;
 Et 10 millions d’euros vont permettre de financer sur trois ans, 42 projets dans le cadre du fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie.

Le succès de cette troisième campagne de financement de projets organisationnels innovants en psychiatrie montre, s’il en était besoin, la forte capacité du dispositif de soins psychiatriques, dans toutes les régions, à se transformer, à concevoir de nouvelles formes de réponse aux besoins de santé mentale de la population, plus efficaces, mieux adaptées aux parcours des patients.

Pour 2022, face au succès de ces appels à projets et aux besoins de la psychiatrie, une nouvelle édition sera proposée : le fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie sera doté de 10 millions d’euros et l’appel à projet pour renforcer la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sera doté de 20 millions d’euros.

Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont permis d’annoncer des mesures attendues depuis longtemps par le secteur. Pour l’accompagnement le plus précoce possible et le renforcement substantiel de la couverture médicale en santé mentale et son accessibilité.

Ainsi, des « maisons de l’enfant et de la famille » assureront dans les territoires la coordination des acteurs de la santé mentale et physique des 3-11 ans, sur le modèle des « maisons des ados ».

Dans le cadre des négociations conventionnelles relatives à l’avenant 9 entre les représentants des médecins et l’Assurance maladie, les partenaires se sont accordés sur un effort substantiel en faveur de la psychiatrie et de la pédiatrie avec une attention particulière portée à la pédopsychiatrie et à la prise en charge des enfants souffrant de troubles du neuro-développement.

Le Gouvernement s’est également engagé à renforcer les maisons des ados, les équipes mobiles ou encore la mise en oeuvre d’un volet psychiatrique du SAS et la création de lits à la demande en psychiatrie.

Les travaux d’élaboration de ces mesures, qui seront précisés d’ici la fin du premier trimestre, sont engagés par la direction générale de l’Offre de soins, en lien avec les sous-commissions compétentes de la Commission nationale de la psychiatrie.

Enfin, le dispositif « MonPsySanté » est une mesure phare annoncée par le président de la République en clôture des Assises. Elle permettra dès le printemps prochain aux personnes ayant des troubles psychiques d’intensité légère à modérée de bénéficier de 8 séances remboursées chez un psychologue conventionné avec l’Assurance maladie.

C’est une avancée majeure, notamment pour tous ceux qui n’avaient pas accès à ces professionnels, pour un accompagnement qui a fait preuve de son efficacité.

Ce nouveau dispositif vise à favoriser l’accès aux soins psychologiques et à promouvoir la coopération entre le psychologue et les médecins, notamment les psychiatres, vers qui les personnes doivent être orientées pour des troubles plus sévères.

4. S’agissant de l’insertion sociale des personnes en situation de handicap psychique, troisième axe de la feuille de route, les actions se sont également poursuivies sous l’impulsion de Sophie Cluzel.

Je citerai notamment le soutien résolu à l’autodétermination des personnes concernées, via la pair-aidance, dans le cadre des Groupes d’Entraide Mutuelle, dont nous poursuivrons le renforcement ; l’aide aux aidants ; la politique active d’insertion dans l’emploi, via l’emploi accompagné et l’accès au logement, via l’habitat inclusif et le programme « un chez soi d’abord » ; ou encore l’attention portée aux plus fragiles, aux personnes en situation de précarité, pour anticiper et éviter les ruptures de parcours ou de non recours grâce au renforcement des équipes mobiles psychiatrie précarité.

Enfin, rappelons qu’un objectif de transformation de l’offre est commun aujourd’hui aux établissements de santé mentale et aux établissements et services médico-sociaux. Il s’agit d’apporter les réponses les plus adaptées et personnalisées possibles.
Les Projets Territoriaux de Santé Mentale doivent contribuer à ce que cette dynamique de transformation ne se déploie pas en parallèle, mais de façon convergente et complémentaire.

5. Je terminerai ce propos en évoquant avec vous les grands enjeux des prochains mois, pour réussir à inscrire pleinement dans les faits, dans la vie quotidienne des gens, l’ambition portée par la feuille de route déclinée au quotidien par Frank Bellivier :

  • Nous devons d’abord réussir l’appropriation de la culture de la santé mentale et de la prévention par tous nos concitoyens. Ce fut un axe fort de l’intervention du président de la République. Il nous faut construire une stratégie d’ensemble, interministérielle qui doit allier :
    • Partage d’une culture de la santé mentale via des actions de communication ;
    • Mobilisation et soutien des acteurs d’autres champs ministériels et des collectivités territoriales ;
    • Outillage des personnes, notamment des jeunes, pour mieux faire face aux événements de vie ;
    • Promotion d’une bonne santé mentale et repérage précoce dans les différents milieux de vie.
  • Nous devons consacrer « l’entrée par les droits », comme la France s’y est engagée lors du Sommet mondial sur les droits en santé mentale qu’elle a organisé dans la foulée des Assises en octobre dernier. Cela veut dire reconnaître pleinement la personne comme acteur de sa santé mentale et en tirer toutes les conséquences.*
  • Nous devons promouvoir une approche populationnelle, qui sans conduire à des logiques « en silos », doit permettre de construire des stratégies de parcours adaptées aux spécificités de certains publics.
  • Nous devons affronter le défi immédiat imposé par la crise d’attractivité de la discipline psychiatrique. J’ai pleinement conscience de l’importance et de l’urgence de l’enjeu, des difficultés dans lesquelles vous vous débattez au quotidien. Les mesures prises récemment doivent améliorer la situation : revalorisation des salaires et des carrières au titre du Ségur ; réforme du DES de Psychiatrie ; poursuite de l’augmentation du nombre de postes d’hospitalo-universitaires en psychiatrie et le développement de la recherche.
  • Pour parvenir à une meilleure organisation des soins nous devons réussir la mise en oeuvre des deux chantiers structurants. D’abord la réforme du financement de la psychiatrie qui entre en vigueur cette année. Elle doit nous permettre de poursuivre la réduction des écarts inter et intra régionaux de l’offre de soins, de stimuler l’innovation et le dynamisme des établissements, tant pour le public que pour le privé. Ensuite, la réforme des autorisations en psychiatrie.

Elle doit permettre d’améliorer l’accessibilité et la qualité des prises en charge, de renforcer les coopérations entre acteurs sur un même territoire et de clarifier les prises en charge en cohérence avec la réforme du financement.

6. Nous devons accompagner les territoires dans la prise en main de ces nouveaux outils, et plus largement, dans le déploiement d’une stratégie pour la santé mentale. La mise en oeuvre des Projets Territoriaux de Santé Mentale doit se traduire dans les Contrats Territoriaux de Santé Mentale en cours d’élaboration. Les 70 coordonnateurs de PTSM déjà recrutés dans le cadre du Ségur y contribuent.

Le Délégué ministériel Frank Bellivier engagera dans les prochains jours un « tour de France des régions » pour constater les avancements et les difficultés de la mise en oeuvre de la feuille de route dans les territoires et apporter aux ARS tout l’appui qu’elles estimeront nécessaire.

7. Enfin, nous devons capitaliser plus efficacement sur les réussites et les innovations. Elles existent et elles sont multiples en psychiatrie et santé mentale, mais insuffisamment connues, évaluée et diffusées. L’évaluation programmée cette année de l’appel à projet du Fonds d’Innovation Organisationnelle en Psychiatrie doit ouvrir la voie à une démarche d’évaluation plus structurée et mieux encadrée.

De même, il nous faut prendre le virage du numérique qui, en santé mentale, reste insuffisamment exploité. Dans ce domaine, l’offre est bien inférieure à la demande et cette offre ne correspond pas toujours aux besoins les plus cruciaux de la population.

Je souhaite que nous nous mobilisions tous sur la transformation numérique en santé mentale, que nous soyons professionnels, start-up, industriels, patients ou famille. Tous ces mondes doivent mieux se connaître et travailler ensemble. J’attends beaucoup de ce chantier.

Vous le voyez, mesdames et messieurs les professionnels de la santé mentale et de la psychiatrie, les chantiers sont bien engagés. Nous devons poursuivre nos efforts tous ensemble.

Et dans cette période si difficile, il n’est pas interdit de regarder le chemin parcouru ensemble, de s’en féliciter, voire, qui sait, d’en être fiers.

On ne me taxera pas de suffisance si je dis que vos disciplines ont fait des pas de géants depuis 5 ans, parfois par la forces des choses, c’est vrai, mais aussi, et peut-être même d’abord, parce que nous avons collectivement porté l’ambition de redonner à la santé mentale et à la psychatrie la place qui leur revient dans notre système de santé.

Alors je ne sais pas si le parent pauvre est devenu l’enfant chéri, restons modestes, mais je sais, et vous le savez aussi, que la donne a changé pour les professionnels de la santé mentale et de la psychiatrie.

Du chemin reste à parcourir, mais le virage que nous avons pris est historique, je pèse mes mots.

Je sais pouvoir compter sur votre mobilisation, et votre participation à ce 20ème congrès de l’Encéphale en est la preuve.

Je vous souhaite un excellent congrès et je vous remercie.


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